Les défilants, décors I & II, 2017 - vue de l'exposition Amorce d'un récit
Comme on amorce des histoires... extrait de l'entretien réalisé par Anne Cartier-Bresson pour le catalogue de l'exposition Amorce d'un récit
A.C-B : Que signifie pour vous exposer sur les murs des immeubles et au milieu des passants ?
M.G : Exposer dans la Rue des Arts c’est proposer à un public de se confronter à mon travail sans qu’il l’ait forcément choisi. Ce genre de projet contribue à décloisonner les sphères des « initiés » à l’art et de ceux qui le sont moins. La rue est un lieu paradoxal, à la fois public et déjà intime pour ses habitants. Des gens ne verront les photographies qu’une fois, d’autres verront leur quotidien ponctué par elles. Ces multitudes de situations et de publics représentent un contexte particulièrement intéressant. D’autre part, les cadres pérennes de la Rue des Arts ont un format défini. Contrainte qu’il a fallu transformer en socle de nouvelles réflexions. L’idée des Défilants s’appuie sur l’observation des panneaux d’affichage public qui font s’enchaîner plusieurs images. Cette proposition spécifique, au-delà de résonner avec l’espace d’exposition urbain, s’inscrit dans la suite de mes recherches sur la suggestion de nouveaux récits entre les images.
A.C-B : Dans quelle mesure faites-vous participer les promeneurs à un scénario qui semble se déployer devant eux?
M.G : Avec Benjamin, nous avons fonctionné par rebond, chacun regardant le travail de l’autre et faisant des propositions. Nous avons été attentifs à la cohérence des images entre elles sans aller jusqu’à penser un scénario. Il s’agit plutôt d’évoquer des trames tout en essayant de casser des évidences qui auraient pu se dessiner entre nos deux univers et avec la rue elle-même. Nous suggérons des bribes, nous semons des indices de récit au fil du parcours. Les regards des spectateurs sont partie prenante de la construction de potentielles narrations. Je crois que nos images respectives peuvent se trouver nourries ou bousculées par le travail de l’autre et c’est en cela que le dialogue est intéressant.
A.C-B : Les personnages, les scènes, les évènements sont montrés comme des instants suspendus qui laissent place à l'imaginaire. Est-ce de l'ordre du documentaire ou de la fiction ? Certaines scènes sont quasi théâtrales, d’autres font référence à l’histoire de l’art…
M.G : Mes images s’attachent à transmettre une réalité des lieux, des personnes photographiées. Mais ces instants capturés (je ne réalise pas de mise en scène) le sont justement pour leur potentiel fictionnel. Par un travail de composition sur le vif, le réel bascule dans l’imaginaire. Je cherche à saisir un quotidien chorégraphié qui suggère de nouveaux récits. J’aime superposer différents registres et les déstabiliser. Dans les images, des références à des compositions picturales, à l’histoire de l’art rencontrent des sujets quotidiens, parfois triviaux. L’anodin peut s’élever et la référence se réactualiser. Les images oscillent entre différents statuts, à la manière du médium photographique-même qu’on peine parfois à placer du côté de l’art, du documentaire ou de la pratique sociale d’amateur.
A.C-B : Dans vos oeuvres la matière photographique à une grande importance... Mais cette matière est transformée. Les corps semblent comme habités par des histoires individuelles ou collectives. La représentation de la Fontaine de Trevi devient un rocher montagneux, dans le paysage romain… Nous sommes là aussi face à de multiples narrations possibles.
M.G : Cet attachement à la matière provient certainement d’années de pratique du dessin, pratique laissée de côté au profit de la photographie qui m’a semblé plus pertinente pour explorer les limites entre réel et fiction. La vérité que prétend transmettre la photographie devient le socle de suggestions. La Fontaine de Trévi est transformée en rocher montagneux par le cadrage qui insiste en effet sur la matière de l’édifice. L’image appui ici sur cette imitation de la nature dans la sculpture. Réinterpréter des sujets aussi célèbres et représentés me permet de composer avec différentes strates de l’histoire.